Une oeuvre d'art est bonne si elle provient de la nécessité. Dans cette façon de prendre origine réside ce qui la juge : il n'est pas d'autre jugement.
(Paris, le 17 février 1903)
« De tous mes livres, quelques-uns seulement me sont indispensables ; il en est deux qui se trouvent toujours parmi les choses que j'ai avec moi, où que je sois.
(..) Procurez-vous le petit volume Six nouvelles de J.P. Jacobsen et son roman Niels Lyhne, et commencez, dans le premier volume, la première nouvelle qui s'intitule "Mogens". Un monde va vous submerger, le bonheur, la richesse, l'inconcevable grandeur d'un monde. Vivez un moment dans ces livres, apprenez d'eux ce qui vous paraît mériter d'être appris, mais avant tout, aimez-les. »
(Viareggio, près Pise (Italie), le 5 avril 1903)
« Très cher Monsieur Kappus : j'ai longtemps laissé de vous une lettre sans réponse (...). C'était votre lettre du 2 mai, vous vous en souvenez certainement. Quand je la lis, comme en ce moment, dans le grand silence de ce lointain, alors votre beau souci de la vie me touche plus encore qu'il ne m'a été sensible à Paris, où tout résonne autrement et se perd, du fait de l'énorme vacarme dont tremblent les choses.
Ici, où m'entoure un immense pays, sur lequel passent les vents venus des mers, ici je sens qu'à ces questions et à ces sentiments qui ont dans leurs profondeurs une vie propre, personne nulle part ne saurait apporter de réponses, car même les meilleurs se fourvoient dans les mots quand ils ont à faire entendre du très subtil, du presque indicible. Mais je crois néanmoins que vous n'aurez pas à rester sans solution si vous vous en tenez à des choses semblables à celles où mes yeux maintenant se récréent. Si vous vous en tenez à la Nature, à ce qu'il y a en elle de simple, de petit, que presque personne ne voit, et qui, sans qu'on y prenne garde, peut devenir le grand, l'incommensurable ; si vous avez cet amour de l'infime, et si vous essayez tout simplement, en serviteur, de gagner la confiance de ce qui a l'air pauvre : alors tout vous deviendra plus facile, plus cohérent, et en quelque sorte plus conciliant, non, peut-être, pour l'intelligence qui, étonnée, reste en arrière, mais dans votre conscience la plus intime, dans votre être éveillé et dans votre savoir. (...) Je voudrais aussi bien que je le puis, vous prier, cher Monsieur, d'être patient envers tout ce qu'il y a d'irrésolu dans votre cœur et d'essayer d'aimer les questions elles-mêmes comme des chambres fermées, comme des livres écrits dans une langue étrangère. N'allez pas maintenant chercher des réponses qui ne peuvent vous être données puisque vous ne pourriez pas les vivre. Et il s'agit de tout vivre. Vivez maintenant les questions. Peut-être en viendrez-vous à vivre peu à peu, sans vous en rendre compte, un jour lointain, l'entrée dans la réponse. »
(actuellement à Worpswede près Brême, le 16 juillet 1903)
Et puis un dernier mot, pour Chloé : « Seules les choses me parlent ... »
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